Nous ne le dirons jamais assez mais le développement durable ne se limite pas à la seule protection de l’environnement. Cette notion a une portée beaucoup plus vaste puisqu’elle vise à « répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins ». Ainsi, face aux crises successives que nous vivons, face au changement climatique, qui est l’un des plus grands enjeux auxquels le monde doit faire face, il est clairement urgent d’agir pour limiter les impacts de la population et des entreprises à tous niveaux : transports, production d’énergie, agriculture et alimentation, habitat… Une transition doit donc s’amorcer et est d’ores et déjà en route vers une société bas carbone, créatrice d’emplois, d’innovations et de justice sociale… Quel sera le rôle des ingénieurs en « développement durable » dans ce changement de mode de vie de notre société ? Elise Rein, Team Manager du service Advanced Engineering chez Betic, part of Sweco, revient sur sa vision de l’évolution des métiers de l’ingénierie.

De g. à d., Steven Rassart, Ingénieur Acousticien; Elise Rein,Team Manager et Clarisse Fischer, Ingénieur Commodo/Incommodo

Est-ce que nous pouvons dire que le développement durable est devenu un fil rouge du métier de l’ingénieur ?

Elise Rein : Les ingénieurs, qu’ils soient “spécialisés” en développement durable, dans une spécificité liée à la durabilité, ou pas, comme on pourrait le penser d’un ingénieur en génie électrique par exemple, ont tous un rôle à jouer face aux enjeux climatiques et sociétaux que nous rencontrons. Nous constatons très bien que, de fait, leurs métiers ont énormément évolué ces dernières années et continuent tout autant à évoluer vers de nouveaux modèles et de nouvelles responsabilités... Finalement, à notre époque, tout le monde devient un acteur essentiel de la durabilité, ou du moins doit le devenir, et ce, quelle que soit sa profession. C’est une réalité qu’on ne peut ignorer même si bien évidemment suivant l’activité que l’on exerce, cela est plus ou moins évident d’influer significativement, d’une façon positive, sur notre société.

Vous entendez ainsi que les exigences relatives aux compétences du métier d’ingénieur sont de plus en plus multiples et que nous tendons vers un profil ayant des compétences pointues dans tous les domaines du développement durable ?

E.R. : Je ne l’entends pas véritablement dans ce sens. Sans nous méprendre, il me semble que comme pour tout métier, nous ne pouvons pas prétendre être spécialiste dans tous les domaines couvrant une profession. Je n’affirme pas qu’il n’est pas possible de devenir expert dans plusieurs domaines, mais clairement cela nécessite de nombreuses années de pratique, et cela ne veut pas pour autant dire qu’après 10, 15, 20 années de carrière, un ingénieur sera un expert, et j’insiste sur ce terme, dans une multitude de domaines complexes tels que l’ingénierie de façade, de sécurité incendie, d’autorisations, de certifications environnementales, et pourquoi pas imaginons, également en acoustique et en HVAC (Heating, Ventilation, Air Conditionning). C’est une hérésie. A l’inverse, cela ne veut pas dire qu’un spécialiste ne peut pas devenir un bon généraliste dans d’autres domaines liés à sa fonction ou du moins avoir des notions solides dans ces domaines, lui permettant de comprendre les problématiques plus globales d’un projet pour se rapprocher ensuite des experts qui seront nécessaires à la concrétisation de projets immobiliers et urbains “plus vertueux”. C’est en ce sens que nous travaillons au sein de notre bureau.

Les ingénieurs “spécialisés” exerçant au sein de Betic sont donc de plus en plus au fait des nouvelles problématiques de durabilité au sein des projets ?

E.R. : C’est quelque chose de très difficilement estimable/mesurable mais j’aime à le penser et mon expérience de près de 7 ans chez Betic me fait constater effectivement que les ingénieurs, notamment en HVAC-sanitaire, en électricité, nos BIM Modelers, appréhendent les projets en considérant bien davantage les problématiques de durabilité, dès les prémices de leurs études, que précédemment. Ils savent aujourd’hui discerner plus précisément, dès les premiers échanges, les problématiques, ou du moins les points d’attention à ne pas négliger, et savent identifier quelle expertise complémentaire sera nécessaire sur leurs projets. Ils se rapprochent désormais tout naturellement des experts en lien dans mon équipe, ce qui n’était pas tant spontané il y a 3 ou 4 ans... Les mentalités changent. Les compétences s’ouvrent à un scope plus large et c’est ce qui fait notre force... Bien entendu, nous sensibilisons, nous échangeons sur notre travail, mais ils s’intéressent aussi volontairement à nos contraintes... Cette « mutation » de leurs métiers se fait naturellement et ils disposent de connaissances plus diversifiées qu’auparavant en acoustique, en autorisations de type Commodo/Incommodo, en efficacité énergétique…

Elise Rein, Team Manager du service Advanced Engineering chez Betic, part of Sweco

Vous évoquez les experts de votre équipe ? Est-ce que vous pouvez nous détailler davantage l’évolution de votre organisation…

E.R. : Comme nous l’évoquions, les mentalités changent dans la façon de concevoir les bâtiments et les villes de demain, phénomène sans doute accéléré par les nombreux lanceurs d’alertes ces dernières années, et que nous aimions à l’entendre ou pas, c’est une réalité qui existe depuis longtemps. Pour beaucoup de professionnels du secteur, cette nécessité de faire évoluer l’acte de concevoir, bien que sous-jacente à l’époque, a conduit des bureaux comme le nôtre à revoir leur organisation pour faire émerger de nouveaux métiers encore peu ou pas présents au Luxembourg. Mon équipe en est un exemple. Mon arrivée chez Betic est en effet liée à la volonté des dirigeants de spécialiser les missions liées à l’efficacité énergétique, qui étaient, à l’époque, prises en charge par les ingénieurs HVAC par exemple, en complément de leur expertise première. Nous avons depuis travaillé de concert pour conforter cette activité avec plusieurs collaborateurs spécialisés dans le domaine et déployé progressivement, de nouveaux métiers. Cette philosophie de travail, considérant le développement durable dans chacun de nos projets comme une fin en soi, et non une option, nous a conduit aujourd’hui à constituer, en quelques années seulement, une équipe de 13 collaborateurs spécialisés en efficacité énergétique, en acoustique, en Commodo/Incommodo, ou encore en circularité des matériaux… Et il est certain que nous allons continuer dans cette direction, en développant encore de nouveaux métiers au sein du bureau en gardant en ligne de conduite cette aptitude à une prospective globale pour participer, certes à notre humble mesure, à l’amélioration de la société…

Trouver ces profils spécialisés, complémentaires pour votre activité, dans une conjoncture où la pénurie de main d’œuvre qualifiée à Luxembourg est un constat affiché, peut sembler une hérésie ?

E.R. : Nous savons les premiers que le marché de l’emploi est des plus tendus au Luxembourg, en attestent les derniers dispositifs gouvernementaux déployés, comme la nouvelle loi pour remédier à la pénurie de main-d'œuvre qualifiée entrée en vigueur le 1er septembre 2023… Clairement, ce n’est pas parce que nous rencontrons des difficultés sur le marché de l’emploi au Grand-Duché de Luxembourg et plus largement sur celui de la Grande Région, qu’il n’est pas possible d’atteindre nos ambitions, à savoir offrir une offre globale à nos clients sur l’ensemble du cycle de vie du bâtiment. Bien entendu, cela peut sembler plus facile à dire pour un bureau comme le nôtre, qui, via ses choix stratégiques de développement, peut s’appuyer sur toute l’expertise et les ressources d’un Groupe leader sur le marché européen, Sweco. Cette richesse de connaissance partagée par plus de 21.000 experts dans le monde, cet objectif commun de façonner les collectivités et villes durables de demain, nous permet de pouvoir faire profiter à nos clients d’une expertise encore peu présente sur notre territoire. De la même manière, collaborer avec nos collègues d’autres pays nous donne la possibilité d’acquérir des compétences que nous mettons à profit sur nos projets, compétences que, progressivement, nous confortons localement via la formation des collaborateurs travaillant au Luxembourg ou d’étudiants que nous formons. C’est donc une relation gagnant/gagnant, via laquelle nous pouvons apporter de la qualification, de façon pérenne, dans le pays.

Les 13 collaborateurs de l'équipe Advanced Engineering du bureau Betic, part of Sweco

La durabilité se veut donc un fil rouge pour les 100 collaborateurs de Betic intervenant dans le pays ?

E.R. : Nous tentons de stimuler le changement et d’exercer un impact positif en interne, comme en externe, et ceci au Luxembourg comme dans tous les pays où le Groupe Sweco intervient. Ces ambitions de durabilité et de sobriété, qui en est un principe phare sous-jacent, dirigent notre essence même et jettent les bases de nos objectifs. Guidés par celles-ci et nos collaborateurs qui, mieux que quiconque, acceptent et transmettent cette vision sur nos projets, nous franchissons des étapes certes successives et progressives, mais décisives.

A nos yeux, la durabilité est la clé et nous allons poursuivre notre développement en ce sens, en continuant à sensibiliser nos clients, les administrations, les institutions et nos collaborateurs qui ont un rôle essentiel à jouer dans ce changement de société. Ils contribuent dans leur travail quotidien à l’amélioration du bien-être, de la santé, de la sécurité de tous en limitant au maximum l’utilisation des ressources naturelles et en préservant celles-ci. C’est en continuant à impulser des projets exemplaires que les mentalités vont continuer à évoluer. Il s’agit bel et bien aujourd’hui, et de façon urgente, de gérer les ressources différemment, qu’il s’agisse d’espace, d’énergie, de matériaux, d’eau ou d’autres biens rares. Cela requiert l’expertise et la collaboration nécessaires. La durabilité fait partie de notre quotidien et est notre principe directeur.