Immobilier & Construction

Les petites mains exclues du marché de l’immobilier

Julien Brun / Publié le 07:32 05.07.2023 | 02 min


Dans un Luxembourg où la capitale est l’épicentre d’une pauvreté toujours plus loin repoussée, il est toujours plus difficile de se loger dignement. Depuis 14 ans, la Fondation pour l’Accès au Logement œuvre pour les exclus d’un marché de l’immobilier devenu inaccessible. Gilles Hempel, son directeur, reconnaît bien volontiers des avancées mais dénonce l’impossibilité de toucher à certaines “vaches sacrées”. Interview sans concession!

Gilles Hempel, directeur de la Fondation pour l’Accès au Logement

Comment se fait-il que le pays le plus riche du monde, n’arrive pas à régler son problème de logement?

Je pense qu’il manque un véritable courage politique pour y parvenir. Si la classe politique dans son ensemble aimerait résoudre la problématique du logement, elle n’est pas prête à sacrifier les vaches sacrées que sont le droit de la propriété, l’autonomie communale et les cadres réglementaires.

Seriez-vous contre la propriété individuelle et plus particulièrement foncière?

Bien sûr que non, il est primordial que la constitution protège les propriétaires immobiliers. Ce que je conteste, c’est le caractère absolu de ce droit. Contrairement à d’autres pays comme l'Allemagne par exemple, le Luxembourg n'a jamais osé remettre en question son sacro-saint droit à la propriété immobilière en le liant à une forme de responsabilité. C’est d’autant plus étonnant que ce tabou touche uniquement l’immobilier. Un propriétaire d’une forêt par exemple, ne peut pas faire ce qu’il veut de sa parcelle et de ses arbres.

Que pensez-vous du droit au logement pour tous, inscrit dorénavant dans la Constitution?

C’est l’occasion ratée d’un juste équilibre entre le droit des propriétaires et celui du logement. Ce dernier n’a pas été inscrit dans les droits fondamentaux comme en Belgique, ni même dans les libertés publiques mais fait partie des “objectifs à valeur constitutionnelle”. Dans l’article 40, le législateur explique que “l’Etat veille à ce que toute personne puisse vivre dignement et disposer d’un logement approprié”. Formule pour le moins énigmatique pour ne pas dire floue dans la mesure où il me semblait que l’Etat a depuis toujours veillé à cela!

“on refuse de toucher à la propriété car beaucoup d’électeurs sont propriétaires.”

Gilles Hempel, directeur de la Fondation pour l’Accès au Logement

Selon vous, quelle est la raison de cette fébrilité politique: le marché ou l’électorat?

Le marché est autonome et s’il n’y a pas ou peu de mesures pour l’influencer, c’est qu’il n’y aucun intérêt politique à le faire. En d’autres termes, on refuse de toucher à la propriété car beaucoup d’électeurs sont propriétaires. Les mal-logés et les exclus du marché immobilier sont souvent des nouveaux arrivants sur le territoire et n’ont aucun poids politique.

Il existe néanmoins un changement dans les mentalités car les Luxembourgeois, électeurs et propriétaires qui ont toujours aimé voir leur patrimoine prendre en valeur, sont désormais inquiets pour leurs enfants.

Vous dénoncez également l’impuissance de l’Etat et plus particulièrement l’autonomie communale…

En effet, au Luxembourg, beaucoup de compétences (PAG, PAP, règlement de bâtisse, etc.) relèvent des communes. Ce sont elles qui décident si elles souhaitent faire du logement abordable ou non.

Ce qui explique que la moitié d'entre elles n’a jamais créé un seul logement abordable et que le Luxembourg en compte moins de 2%. Pour rappel, les Pays-Bas sont à 20% et la ville de Vienne à 50%. L’Etat ne peut rien y faire, contrairement à la France où il existe un seuil de 25% de logements sociaux minimum dans les communes d’une certaine taille sous peine de pénalités financières annuelles.

Le Pacte logement donne des incitations mais c’est insuffisant. La situation est telle qu’elle ne devrait pas dépendre d'un pacte entre l’Etat et les communes mais bien d’un cadre légal et d’une obligation réglementaire.

Qu’est-ce que cela implique?

Avec 100 communes, il y a presque autant de cahiers des charges différents. C’est extrêmement fastidieux pour les créateurs de logements (qu’ils soient conventionnels ou abordables). Cela rend également la construction hors site modulaire très difficile car il faudrait quasiment créer un modèle par commune en usine. Le modulaire est pourtant la clé d’une massification de la création de logements en un temps record (deux ou trois jours) avec peu de main d'œuvre.

La situation est telle que même si nous avions tous les terrains nécessaires, il nous manquerait à la fois la main d'œuvre pour les construire mais aussi les logements pour l’accueillir.

“Il faut un courage politique extrêmement important pour faire de l’immobilier social au Luxembourg car les pressions sont très importantes.”

Gilles Hempel, directeur de la Fondation pour l’Accès au Logement

Comment est-il possible que le Luxembourg ne fasse pas mieux en termes d’immobilier social?

Nous avons longtemps pensé la location comme une transition pour parvenir à la propriété. Les logements sociaux étaient alors construits pour la vente et le peu de location était réservé aux plus misérables.

Bien évidemment, la vente des logements sociaux, construits avec l’argent public, a permis d’énormes plus-values venant contribuer à la spéculation foncière. Si seulement l’Etat avait gardé ces biens pour la location, la situation serait bien meilleure. C’est la grande erreur de ces dernières décennies.

Le logement social, financé avec l’argent du contribuable, ne devrait concerner la location uniquement! Ce qui offrirait une plus grande mobilité du logement car un couple de 4 enfants n’a pas les mêmes besoins lorsque ses enfants quittent le cocon familial.

Pensez-vous qu’il existe une volonté politique d'écarter certaines populations?

Comment expliquer sinon ce chiffre de 2% de logements sociaux? Lorsqu’une commune rédige un nouveau PAP ou PAG, elle peut décider de n’avoir que des maisons unifamiliales avec de grands terrains, de définir des surfaces minimales et de grands logements. Seule une population aisée pourra alors s’y installer rendant encore plus difficile l'implémentation de logements sociaux.

Nous avons un projet Altrier dans la commune de Besch où le Bourgmestre et le Collège échevinal nous ont mis à disposition une ancienne école pour créer du logement social. Malgré cette volonté politique et plusieurs réunions de voisinage, une centaine de personnes s’oppose au projet. L’une des habitantes m’a clairement dit qu’elle approuvait nos actions mais n’en voulait pas dans sa rue. Depuis, les échevins doivent régulièrement faire face à des insultes et les opposants les plus véhéments ont même décidé de se présenter sur les listes avec l’idée de faire capoter le projet.

Il faut donc un courage politique extrêmement important pour faire de l’immobilier social au Luxembourg car les pressions sont très importantes.

“le marché de l’immobilier au Luxembourg est dorénavant réservé aux hauts, voire très hauts revenus.”

Gilles Hempel, directeur de la Fondation pour l’Accès au Logement

Face à la démographie, la pénurie de logements n’est-elle pas une bataille perdue d’avance?

Je ne le pense pas. Les terrains sont là avec 3.000 hectares constructibles dont 1.000 hectares de “Baulücken” ou dents creuses qui sont des espaces non construits et entourés de parcelles bâties. Le problème, c’est que les propriétaires ne veulent pas vendre préférant une prise de valeur annuelle. L’impôt peut les y contraindre.

Parallèlement à cela les communes n'ouvrent pas leurs périmètres. Il faudrait néanmoins des contraintes fortes pour s’assurer que ces terrains nouvellement constructibles, profitent au logement et non à leurs propriétaires.

Quelles sont les activités de l’AIS?

En tant que service de la Fondation pour l’Accès au Logement, la gestion locative sociale reste notre activité principale depuis 14 ans. Plus concrètement, l’AIS loue des logements inoccupés pour les mettre à disposition des personnes en détresse. Et ce, à des prix modérés tout en les accompagnant avec un projet social qui vise à améliorer leur situation.

L’idée était d’accompagner les personnes sur une durée de 3 ans pour qu’ils puissent retrouver le marché de l’immobilier classique. Ce qui fonctionnait très bien dans la mesure où même 10% d’entre eux devenaient propriétaires. Nous constatons néanmoins depuis quelques années, que même avec une situation professionnelle stable et des dettes épongées, ce n’est plus possible. Les prix se sont tellement envolés que le marché de l’immobilier au Luxembourg est dorénavant réservé aux hauts, voire très hauts revenus.

“les petites mains du marché du travail doivent habiter toujours plus loin et bien souvent, de l’autre côté des frontières. Il n’y a plus de logements dignes pour les petits revenus.”

Gilles Hempel, directeur de la Fondation pour l’Accès au Logement

Est-ce pour cela que vous avez créé Abitatio en 2019?

Oui, pour ceux qui malgré leurs efforts n’y arrivent toujours pas. Aux côtés de la SNHBM et du Fonds du Logement, Abitatio est désormais le troisième acteur de la construction de logements abordables. L’objectif étant d’offrir des solutions à long terme pour ceux qui ont terminé leur parcours avec l’AIS.

Gérer et construire du logement social sont deux métiers différents et nous avons dû recruter des profils. La Fondation compte désormais 47 collaborateurs et une importante transformation digitale nous permet de répondre efficacement à l’augmentation des dossiers. 2.000 personnes sont actuellement logées par nos services et autant nous ont déjà quittées.

“si la mixité culturelle existe d’un point de vue des nationalités, elle n’est plus qu’un vieux souvenir pour les classes sociales.”

Gilles Hempel, directeur de la Fondation pour l’Accès au Logement

Où vivent les petits salaires?

La serveuse, le coiffeur et les autres petites mains du marché du travail doivent habiter toujours plus loin et bien souvent, de l’autre côté des frontières. Il n’y a plus de logements dignes pour les petits revenus.

Le Grand-Duché connaît ainsi une gentrification nationale de sorte que si la mixité culturelle existe d’un point de vue des nationalités, elle n’est plus qu’un vieux souvenir pour les classes sociales. Il suffit de comparer les quartiers de la gare et ceux du Limpertsberg pour s’en convaincre.

Vous en appelez au courage politique; n’avez-vous jamais eu envie de l’incarner en vous engageant sur les listes?

(ndlr: rire) Il est bien qu’il y ait des politiques mais aussi des militants. J’appartiens à la seconde catégorie. Je suis soucieux des droits des citoyens, de l’accès au logement et j’essaie de penser des idées pour qu’elles pèsent efficacement sur les débats. J’aime trop cette liberté intellectuelle pour me poser la question. En revanche, je souhaite que les politiques prennent les mesures nécessaires pour le pays et non à leur réélection.

Projets Abitatio

Acquisition VEFA d’un immeuble à Wilwerdange

Projet de rénovation terminé à Niederkorn (7 logements) et un autre en cours sur la même parcelle.

Construction en cours d’un immeuble à Merscheid

Acquisition VEFA d’un immeuble à Harelange

Acquisition VEFA d’un immeuble de 12 appartements à Heinerscheid

Acquisition VEFA (construction en cours) à Mondorf-les-Bains

Construction en cours à Hosingen

● d’autres projets sont planifiés à Altrier, Belval, Senningerberg,….

Agence Immobilière Sociale