Immobilier & Construction

Nostalgie oubliée

Julien Brun / Publié le 08:01 22.06.2023 | 02 min


1984: Michel Foucault, François Truffaut, Marvin Gaye laissent la philosophie, le cinéma et la musique en deuil, Canal + réinvente la télé, Coluche reçoit un César, Bruce Springsteen “Born in the U.S.A.” et moi au Luxembourg.

Nous sommes alors au début des "20 splendides"; de ce milieu des années 1980 et jusqu’à 2007, le Luxembourg connaît une croissance annuelle de 5,3% (contre 2,3% pour la moyenne européenne). Le PIB, lié à l’essor de la place financière et du secteur des services, s’envole littéralement pour atteindre en 1986 et 1989 des taux de croissance de 10%. De 1985 à 2007, le PIB par habitant est de 4.0% en moyenne annuelle, (soit le double du taux européen) et de 1985 à 1989, la rémunération réelle par salarié croît à un rythme soutenu en atteignant 2.8%, (alors que la moyenne européenne est de 1.3%). Les résidents s’enrichissent et la capitale devient l’épicentre d’une pauvreté toujours plus loin repoussée.

Pour l’heure, dans cet immeuble de la Capitale, sur la Place de Paris, réside un avocat Français, un couple de Luxembourgeois professeurs de Lycée, une famille portugaise dont le père est ouvrier du bâtiment, des Italiens travaillant dans le restaurant familial ainsi que mes parents, Français et employés de restauration. Malgré un prix de l’immobilier qui ne cesse de grimper, la mixité sociale née de l’industrialisation du début de siècle est encore une réalité tant sur le plan des nationalités que celui des salaires. On y parle un français avec des “r” roulés et des “u” prononcés [ou], les “moien” et “äddi” remplacent les “bonjours” et “aurevoirs” et mille autres "luxembourgeoisités" métissent nos quotidiens.

Mes parents occupent l’appartement familial depuis leur arrivée de l’hexagone en 1982 jusqu’à l'annonce de la naissance de mon petit frère, en 1987. Sans être pauvres pour autant (nous avons toujours eu assez de steaks sur la table), le déménagement était devenu une nécessité. Et c’est loin, beaucoup plus loin de leur lieu de travail, qu’ils ont pu poser nos valises.

Lorsque vous irez prendre le café à la boulangerie de vos matins encore embués, au restaurant de vos midis affamés ou encore faire vos emplettes des après-boulots-fatigués, demandez-vous, où habitent toutes ces petites mains. Si la mixité culturelle est toujours plus grandissante au Luxembourg, quant est-il de la mixité sociale? Celle qui permettait à l’avocat roulant en Porsche de côtoyer son voisin serveur, pompiste, vendeur, secrétaire ou chauffeur, la même qui permettait à nos enfants de côtoyer sur les bancs des écoles, les revenus modestes.

Édito